Bonjour Laure, pourriez-vous nous expliquer comment votre parcours en tant que médiatrice et formatrice influence votre vision de l'importance de l'éducation à la médiation et à la résolution de conflits pour le développement social des élèves ?
Mon expérience de médiatrice me permet de constater très fréquemment que les adultes ne savent pas bien communiquer et que les conflits et tensions naissent assez souvent de là.
C’est pourquoi j’estime qu’il est essentiel de former les enfants à ces méthodes de résolution des différends. Cela leur donne des compétences relationnelles qui leur seront primordiales pour la suite.
En tant que consultante spécialisée en médiation, quels bénéfices avez-vous constatés chez les élèves lorsqu'ils sont formés à la résolution de conflits et comment cela se répercute-t-il sur leur développement social ?
Je remarque que les enfants et adolescents assimilent très bien ces techniques et notamment le processus de médiation. Lorsque je forme des élèves à la médiation par exemple, je vois les bienfaits suivants : ils sont d’abord plus en capacité d’aller observer en eux ce qu’il se passe (compétence intrapersonnelle) et ainsi de fonctionner de façon autonome et responsable. Ce faisant, s'intégrer à un groupe et interagir avec respect, tolérance et empathie avec les autres devient plus facile (compétence interpersonnelle). Ce qui contribue à une meilleure cohésion sociale par la création d'un sentiment d'appartenance (compétence sociale). Ils développent également leurs perceptions, ce qui leur permet de repérer plus facilement des situations alarmantes (ex : le harcèlement) et donc d’agir.
Pouvez-vous nous décrire une situation où l'éducation à la médiation a joué un rôle crucial dans la résolution d'un conflit au sein d'un établissement scolaire ? Quelles ont été les leçons tirées de cette expérience ?
Je peux décrire une situation dans laquelle il était question d’injures raciales en direction d’un élève. En face, l’élève ayant proclamé ces insultes se sentait également mis à mal et moqué. Une médiation leur a été proposée par des élèves médiateurs, formés par moi-même. Ce temps d’échanges dans un cadre spécifique a permis aux deux élèves de comprendre profondément l’impact réciproque de leurs mots et attitudes. Ils ont pu cerner aussi les enjeux de leur altercation et leurs besoins non satisfaits ayant généré ce conflit. Ce mouvement d’empathie mutuel a permis un processus de pardon et l’instauration d’une relation cordiale.
La leçon principale pour l'un et l'autre a été de ne pas faire vivre à autrui ce qui est douloureux pour soi-même.
Quels sont selon vous les principaux obstacles à l'intégration de la médiation et de la résolution de conflits dans les programmes éducatifs actuels, et comment pouvons-nous les surmonter ?
Les principaux obstacles sont à mon sens :
- La difficulté pour les établissements scolaires de trouver des fonds pour financer ce type d’initiatives ;
- Une ambiance désormais bien ancrée qui est encore loin d’une culture de la paix, il faut donc un certain temps pour opérer un changement de paradigme et se diriger vers le courant de la non violence ;
- Et en lien avec ce dernier point, je dirais que la violence est de plus en plus accrue et presque banalisée, élèves et équipes éducatives en souffrent mais il faut de l’énergie et des efforts de part et d’autre pour réussir à instaurer autre chose.
Comment évaluez-vous l'impact de la formation à la médiation sur le développement de compétences sociales telles que l'empathie et l'écoute active chez les élèves ?
J’ai une élève de sixième qui m’a confiée quelque chose à l’issue de la formation à la médiation, et sa phrase pourrait répondre à votre question :
« Avant, je ne savais pas dire pardon – dans ma famille, cela ne se fait pas – et je ne savais pas dire merci. Et je trouve ça aussi rigolo et cool de dire « bienvenus » aux parties en conflit quand elles arrivent en médiation ».
Les élèves développent très rapidement une compréhension de ces mécanismes humains fondamentaux que sont le pardon, la gratitude, l’accueil des personnes telles qu’elles sont. Ils deviennent ainsi plus tolérants et plus ouverts. C’est impressionnant de constater qu’ils s’imprègnent facilement des techniques de l’écoute active et arrivent aisément à les mettre en pratique. Ils découvrent ainsi les vertus du silence ; de la reformulation ; des questions ouvertes et non teintées de jugement. Cela pacifie et humanise leurs rapports.
Votre expérience vous permet-elle de déterminer des tendances ou des changements récents dans l'attitude des établissements scolaires envers l'éducation à la médiation ? Quelles stratégies pourrait-on mettre en place pour accentuer cette tendance ?
Je trouve que de plus en plus de responsables d’établissement scolaires ont conscience qu’un changement profond des mentalités et des pratiques doit s’opérer. Les actes de violence de plus en plus importants et les logiques punitives qui tentent de répondre à cela trouvent leur limite. Tout simplement parce que cela stoppe momentanément le problème en cours sans en régler le fond. J’observe une grande lassitude du côté des équipes éducatives, pour ne pas dire un certain désarroi. Alors quand on leur propose d’autres formules, d’autres façons de faire, ils sont généralement preneurs. Je constate avec joie de plus en plus d’ouverture envers ces techniques ( de communication, de médiation, de théâtre forum).
La stratégie à mettre en place selon moi est de ne pas hésiter à aller toquer à leurs portes pour leur faire découvrir ces pratiques. A travers des initiatives, des ateliers, des formations. Et les effets positifs qu’ils vont pouvoir constater leur donneront l’élan de poursuivre !
Vous travaillez avec de nombreux acteurs éducatifs. Quels conseils donneriez-vous aux enseignants qui souhaitent intégrer les principes de la médiation dans leur classe mais ne savent pas par où commencer ?
Je les inviterais à tenter de revoir leur posture pour aller vers plus d’horizontalité pour rencontrer véritablement leurs élèves. Tout en apprenant à co-construire un cadre avec leurs classes pour instaurer le respect, la bienveillance, le non-jugement…etc. Et aussi les inviter à se former tout d’abord à des techniques de communication pour « modéliser » une autre façon d’entrer en relation.
Quand les adultes répondent à la violence par la violence, c’est une escalade et je pense que l’on se doit en tant qu’adultes de montrer un autre chemin des possibles. En commençant tout d’abord par incarner soi-même ces changements positifs, qui vont ensuite rayonner sur les jeunes que l’on accompagne.
Pour plus d'informations : https://www.lf-mediation.com/